Un souffle fulgurant

Publié le par Murielle Morier

Un souffle fulgurant

Il me faisait de l’œil depuis un moment nonchalamment alangui sur mon étagère. Mais qui donc ? Cet éléphant présenté sur la couverture du recueil bilingue intitulé L’Académie de l’air. M’attendait ainsi un drôle de pachyderme, né des fulgurances du poète roumain contemporain Daniel Marcu.
Je disais donc avoir mis un certain temps avant d’ouvrir ce recueil de poésie mais comme je ne cesse de le répéter, aucune date de péremption n’a jamais été vue sur un livre. J’ai donc estimé ce début d’année propice pour me lancer. Une fois ma lecture achevée, et si on veut bien me pardonner ce jeu de mots facile, je dirais que cet ouvrage résonne singulièrement avec « l’air du temps ». Seize collages aussi évocateurs que saisissants signés Maria Marcu-PopArt viennent de plus l’illustrer. Et chose inouïe les mots qu’il contient semblent presque nous scruter tant la force du message invite justement à réfléchir sur cet « air du temps », à l’heure où le monde entier ose croire que l’an qui vient de débuter ne sera pas dans la continuité de son prédécesseur.

Superbe métaphore que cet éléphant qui se hisse jusqu’aux nues pour nous emporter dans son souffle poétique ; spectaculaire exercice d’équilibriste que de rester en suspension dans l’air pour un mastodonte. Et pourtant il flotte notre bel éléphant ! Défiant la pesanteur, il nous observe et il attend.
Créatif, visionnaire, inspiré, les qualificatifs ne manquent pas pour rendre hommage à Daniel Marcu, ce poète de l’extrême. Ainsi son verbe puissant, diablement moderne, nous interpelle tant sur l’introspection personnelle, la capture de l’instant, le ressenti d’une atmosphère que sur des sujets d’une brûlante et oppressante actualité.
Deux mots pour conclure : superbe découverte.

Extraits :

« Sur la ville s’est déposée la couverture électrisante qui chauffe l’insurrection de masques en carton, le convoi est en marche dans les rues sans fin, au rythme des tambours infernaux, comme un serpent à clochettes qui glisse sans le savoir dans l’abysse. » (Du poème La ville vue du drone)

« Parfois, je m’observe avec dépit, car je ne me retrouve dans aucun miroir du monde, car mes pieds sont aussi fermement ancrés dans la sève de la parole, car mes bras gesticulent comme des battements de cœur supplémentaires, car mes yeux ne se ferment pas à chaque sursaut du jour, car mon esprit refuse de perdre la bataille contre les déformations de la vérité, me laissant tout nu sur une place où personne ne tente plus de m’acheter, mais seulement de me peser du regard. » (Du poème Des comètes recouvrent les ombres des pas)

« Les savants ont démontré que l’air entretient la vie, que, sans lui, la planète ne serait qu’une boule de feu, une armure de glace, aussi, je proclame unilatéralement que nous sommes ce que nous sommes uniquement grâce à l’air qui tolère nos indécisions, attise nos sens et supporte nos migraines porteuses de désastre. » (Du poème La proclamation de la création de l’Académie de l’air)

Petit aparté

Je salue au passage l’élégance de la traduction de Gabrielle Danoux dont j’avais pu apprécier la qualité du travail avec la découverte d’autres auteurs roumains dont l’œuvre appartient désormais au domaine public, en l’occurrence Max Blecher (chronique du 26 mai 2020) et Anton Holban (chronique du 6 juin 2020). En effet la passion communicative de l’intéressée m’avait alors permis de capter toute la quintessence de ces textes, certes classiques, mais à leur manière d’une étonnante modernité par les thèmes universels qu’ils abordent.
 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article

A
Un plaisir de vous suivre :) passez me voir sur mon blog :)
Répondre