La peinture de l’instant

Publié le par Murielle Morier

La peinture de l’instant

Sous les ciels de Zeewijk de Marino Magliani

Titre original : Soggiorno a Zeewijk de Marino Magliani – traduit de l’italien par Claudio Panella et Silvia Nugara, assistés par Laura Zorloni et Morgane Laghi

Sous les ciels de Zeewijk nous fait entrer de plain-pied dans le roman d’atmosphère où des émotions brutes se mêlent à une tendresse romantique.

La quatrième de couverture annonce une promenade le long des rues d’un quartier d’IJmuiden, petit village de la côte hollandaise, pas loin d’Amsterdam. Bâti sur des dunes de sable, le paysage d’IJmuiden ne cesse de changer. À tel point que les maisons ont une durée de vie inférieure à celle des habitants. Dans ces conditions, plus que nulle part ailleurs, l’expression « être de passage » prend tout son sens. Comme pour renvoyer l’individu à son insignifiance. Paradoxalement, ce qu’il y a d’immuable dans un paysage aussi versatile, ce sont les étoiles, car les rues prennent parfois le nom de constellations. Comme si ce monde éphémère en proie aux caprices des éléments ne pouvait trouver de stabilité et permettre à ses occupants de retrouver leur chemin qu’en suivant la carte du ciel.

De plus, « Zeewijk est un festival de baies vitrées, un monde qui attend d’être compilé en une anthologie », affirme le narrateur italien originaire de Ligurie, quand il se confie à Piet, son acolyte hollandais. Narrateur et auteur d’ailleurs, car il est bien question de Marino Magliani dans cette histoire où celui-ci nous fait part de son goût inné de l’observation, notamment quand il s’abandonne à la « flânerie ». Ainsi, toutes ces maisons aux grandes baies vitrées dépourvues de rideaux offrent autant de tableaux dignes d’un Veermer des temps modernes ; donnant à voir des vies alternatives dans lesquelles se projeter. Une vraie anthologie donc. Des scènes de genre qui symbolisent la vie vécue par d’autres. Et peut-être une manière de recueillir entre ses mains un peu du sable des dunes. Un défi au destin.

Notre narrateur est aussi en exil, habité par le mal du pays. Solitaire, en transit, l’espoir se fait jour quand, derrière une indiscrète baie vitrée, il aperçoit une inconnue. Qui ne le reste pas longtemps. On apprendra en effet qu’elle répond au prénom de Anneke. Trouver une parade à la barrière de la langue relèvera de la gageure. Une rencontre sans cesse différée et fantasmée. Un amour passager, lui aussi, à la fois gai et mélancolique comme tout ce que génère Zeewijk. Pour décrire l’état d’âme en question, le portugais a créé un joli mot, la saudade dont le charme tient aussi dans son caractère intraduisible. Pour en capter le sens, on conviendra d’une sorte de spleen teinté d’espérance. Un spleen lumineux en somme.
Ainsi Marino Magliani se plaît à naviguer d’un lieu à l’autre. Son âme erre en différents endroits. Quand il se trouve ici, il pense à là-bas et inversement. Et donc où qu’il soit, la nostalgie d’un ailleurs le hante. Se trouver dans un endroit l’aide à mieux comprendre l’autre. À d’autres moments, le tempérament rêveur du narrateur flirte avec une poésie burlesque que n’aurait pas reniée un certain Marcovaldo, personnage cher à Italo Calvino, lequel, il y a quelque temps déjà… m’avait aussi beaucoup marquée.

En refermant ce livre, après ce voyage au firmament, une petite voix vient nous susurrer qu’on a tous en nous quelque chose de Zeewijk, un quelque chose qui marque durablement l’esprit par son caractère unique et accaparant.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article