Sus aux bouffeurs de planète !

Publié le par Murielle Morier

Sus aux bouffeurs de planète !

  Commenter ce roman graphique, aimablement offert par les éditions Rustica dans le cadre de la masse critique Babelio « Regarder autrement », implique de ne pouvoir occulter la personnalité de son auteur : Nicolas Hulot, l’homme « aux plus beaux yeux du monde ». C’est en effet par ce tendre prologue que démarre cette histoire, quand, en 2012, l’ami Nicolas se fait aborder à un feu rouge de la capitale par un livreur de pizza, affable et basané, juché sur son vieux scooter thermique et polluant tandis que notre héros chevauche le même type de monture, mais celle-là électrique et dernier cri. Une entrée en matière qui n’est pas ce qu’on croit : de malhabiles travaux d’approche pour draguer une vedette adulée des foules, ou encore la rencontre de deux mondes – deux univers même – que tout oppose pour en souligner le décalage flagrant. Non, ceci témoigne d’une admiration sincère envers l’ancien animateur des émissions qui l’ont popularisé, Ushuaia, le magazine de l’extrême, puis Ushuaia nature, lequel a aussi créé sa propre Fondation pour la Nature et l’Homme. De fait, quand on a eu la chance de contempler tant de merveilles de par le vaste monde, on a les plus beaux yeux qui soient. CQFD. À condition aussi de savoir regarder.
    Grâce à sa notoriété et à la sympathie qu’il inspire aux Français, Nicolas Hulot est donc un personnage charismatique sur qui la sphère politique a longtemps lorgné. Toutefois, il refusera à plusieurs reprises le ministère de l’Écologie, que lui ont successivement offert sur un plateau d’argent les présidents Jacques Chirac et François Hollande, même si, sous la présidence de ce dernier, il contribuera à la préparation de la COP 21 à Paris.
    Le célèbre Nicolas a ainsi côtoyé des chefs d’état et leurs aréopages ; tout un petit monde, chacun en conviendra, pas franchement réputé pour son train de vie d’ascète. On voit également, dans cet ouvrage, que notre protagoniste a en quelque sorte servi d’éminence grise à Jacques Chirac, à qui il a susurré à l’oreille, lors du sommet mondial du développement durable de Johannesburg, les grandes lignes de son discours, prononcé le 2 septembre 2002, dont la fameuse formule « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » marquera l’Histoire ; tout du moins tant qu’il y aura encore des individus pensants sur terre pour s’en souvenir. Laïus également passé à la postérité pour le « lien nouveau à nouer avec la nature… » et le « moment pour l’Homme d’apprendre à maîtriser sa puissance et ses appétits... »
    Ceci nous mène donc à ce constat accablant : la planète bleue et ses occupants font les frais du confort de vie permis par les avancées de l’ère industrielle. Mais, dans le fond, notre bonne vieille planète pâtit surtout des excès d’une minorité. Dorénavant personne n’ignore plus en effet qu’une société de surconsommation épuise les ressources naturelles et, qu’en dépit de tout, certains continuent de faire bien peu cas du vivant. Le danger est donc imminent et il n’est que temps d’agir. Peut-être est-il même trop tard. Eh oui, le climat change : ça chauffe ! La pollution, omniprésente, est à présent aussi démentielle qu’incontrôlable. Les déchets pullulent tandis que les déserts avancent et, après avoir été menacés, de plus en plus d’animaux disparaissent. Une fuite en avant inexorable, quand on sait que la flore et la faune qui subsistent s’avèrent en réalité en sursis. Et à l’heure où j’écris ces lignes, l’humanité s’enlise dans une pandémie qu’on peut qualifier de sans précédent.

    Ce livre, au demeurant très bien construit, au graphisme plaisant avec un propos didactique et un angle d’approche percutant, se voit étoffé de multiples références. En même temps qu’il dresse l’état des lieux calamiteux de la santé de la planète, nous est retracé en parallèle le parcours de celui qui aura fait un passage éclair au gouvernement, sous l’actuelle présidence Macron, en qualité de ministre de la Transition écologique et solidaire. Cet aspect hybride donne du rythme au récit en aiguisant la curiosité, impatients que nous sommes de connaître les intrigues de palais et autres coups fourrés. Nous piafferons d’impatience, dans l’attente de découvrir ce qui se trame sous les dorures de cette monarchie républicaine où courbettes et cirages de pompe sont de mise au détriment de la compétence et de la bonne volonté.

    Quand Nicolas Hulot a rejoint le gouvernement, l’espoir était encore permis : Après tout qui mieux que quelqu’un qui sait vraiment de quoi il parle pour occuper un tel poste ? Après sa démission avec pertes et fracas, une autre réflexion peut légitimement nous échapper : « Si même lui n’arrive pas à endiguer le désastre écologique « en marche », alors, on n’a pas le cul sorti des ronces. »
    Oui Nicolas, les politiques caressent les odieux lobbyistes dans le sens du poil pour ménager tant la chèvre (leurs intérêts économiques) que le chou (les retombées électorales). Cela ne date pas d’hier.
    Oui Nicolas, les politiques se comportent également comme des pignoufs quand on parle de choses importantes aux enjeux cruciaux.
    Oui Nicolas, la vie politique est une jungle peuplée d’individus sans scrupules qui vendraient père et mère pour arriver à leurs fins et où tous les coups sont permis. Il suffit de lire les journaux et de regarder un peu autour de soi… À aucun moment l’intérêt général n’est la priorité, contrairement à ce que croit l’électeur plein d’espoir à qui on demande juste de ne pas se tromper de bulletin le jour du vote et dont on se désintéresse jusqu’au prochain scrutin.
    Ainsi, comme tous les idéalistes et malgré son expérience des hommes et du terrain Nicolas Hulot aurait-il fait preuve, lui aussi, d’une naïveté confondante ? Nous serions tentés, à notre tour, de lui susurrer à l’oreille : « Mais vous vous attendiez à quoi, cher Nicolas ? »
    On peut pardonner votre manque de lucidité. Quiconque aura été tenté de retirer la chaise de son ennemi juré au moment où celui-ci s’assoit à son bureau n’aura jamais l’audace de vous jeter la première boîte de trombones en pleine figure. Mais là où le bât blesse, c’est votre manque de sang-froid. Cet exercice éphémère du pouvoir aura donc été une terrible épreuve de vérité prouvant votre incapacité à vous forger une carapace à l’épreuve des balles dum-dum.
    Ainsi, on ne demande pas à tout le monde de faire partie d’un gouvernement pour essayer de faire de son mieux, alors Nicolas, quitte à vous retrouver seul contre tous, moqué et ridiculisé, il fallait dire : « J’y suis, j’y reste et même si ce que je fais n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, c’est toujours mieux que rien. » Je n’ai pas l’habitude de parler au nom des autres mais permettez-moi de créer pour vous cette réplique. Parce que la lâcheté peut faire plus mal que les ronces.

    Après pareille lecture, chacun aura conscience que ses petits pas ne suffiront pas pour changer le monde et sauver la planète, même si la majorité d’entre nous pensera ne pas s’être comportée jusqu’ici comme l’éléphant dans un magasin de porcelaine quant au manque d’égards portés à la Terre.
    On se dira plutôt que le combat est plutôt à mener du côté des insatiables et éternels insatisfaits, qui sont souvent les derniers à vouloir se restreindre et qui veulent tout posséder. Avec pour devise « Toujours plus et plus encore » et sa variante « Après nous, le déluge », tout en ne se privant pas de donner des leçons au passage sur le mode « Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais. » Autant de profanateurs qui se partagent et spolient le monde sans aucun remords, à l’image de ce touriste de l’extrême, fanfaronnant après avoir tiré sur un ours polaire isolé en pleine banquise, pour l’abandonner ensuite à une atroce agonie dans cet enfer blanc – qui pour cet ours était jusqu’alors un éden (page 142). Métaphore d’une Terre (pourtant sublime), arrivée aux dernières extrémités tant elle aura été avilie et bafouée.
    Personne n’ignore non plus que certains jouissent pendant que d’autres s’éteignent après avoir souffert le martyre, le plus souvent dans l’indifférence, au pire, avec la complicité du reste du monde. Tout ceci m’inspire une réplique digne du théâtre de boulevard, qu’on pourrait mettre dans la bouche d’un.e représentant.e du menu peuple et qu’on pourra appeler madame Chombier ou monsieur Michu, autrement dit madame ou monsieur Tout-le-monde : « Si tous les autres faisaient comme nous, ça irait bien mieux dans le monde ! » Ceci même si madame Chombier ou monsieur Michu sont contraints d’emprunter leur véhicule personnel (polluant) pour aller bosser. Le plus souvent d’ailleurs ceux-ci prennent les transports en commun pour tirer les huit heures qui vont les laminer, cela dans l’hypothèse d’un travail peu épanouissant. Et à temps complet. Autrement, ils se débrouilleront comme ils pourront pour errer de galères en p’tits jobs payés au lance-pierre. En attendant des jours meilleurs, monsieur Michu et madame Chombier pourront toujours se consoler de leur vie de merde devant leur télé à crédit en rêvant par procuration aux voyages au bout du monde qu’ils ne pourront jamais s’offrir.
    Donc vous l’aurez compris, l’ennemi n’est pas madame Chombier ou monsieur Michu qu’il faut bien sûr encourager et sensibiliser aux comportements écoresponsables, je ne dis pas le contraire, mais bien les (gros) bouffeurs de planète qui continuent de sévir en toute impunité. Et en toute tranquillité.
    Oui, les petits pas ne suffisent pas quand tout un système est à repenser de fond en comble.

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