Drôle de trouple !

Publié le par Murielle Morier

Drôle de trouple !

Trio de William Boyd

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Isabelle Perrin – Titre original : inchangé

    La trame :
    Quiconque se sera un tant soit peu frotté à l’univers du septième art peut témoigner que le tournage d’un film ne tient pas de la promenade de santé. Et, même si le producteur Talbot Kydd n’a rien d’un débutant, celui-ci en aura la cinglante confirmation tout au long des différentes étapes de L’Épatante Échelle pour la Lune d’Emily Bracegirdle. « Un film à la con avec un titre à la con » reconnaît-il, un brin penaud. Ce sémillant sexagénaire a beau avoir à son actif un palmarès impressionnant de longs métrages au destin plus ou moins heureux, ce scénario-là va s’avérer plutôt gratiné. Outre les aléas du métier – rewriting, ajustements de casting et autres contrariétés –, Talbot devra aussi faire face à la défection de son actrice principale ainsi qu’aux finasseries de son associé, qui selon toute apparence cherche à le doubler.
    Amoureux de la France et féru de culture française, William Boyd a ici choisi de planter son intrigue à Brighton, charmante cité balnéaire grand-bretonne qu’un battement d’ailes de goéland sépare des côtes françaises. Position stratégique idéale pour faire évoluer certains personnages dans le décor de notre belle capitale pendant quelques chapitres.
    Par ailleurs, nous sommes en 1968. Comme peu l’ignorent, tant en France qu’ailleurs, une crise de société extrêmement profonde agite le monde avec son cortège de mutations, également profondes. L’époque choisie sert aussi de prétexte à l’étude de mœurs. Or la vie de Talbot s’apparente à une vaste imposture. Comme tant d’autres avant lui, il s’est fondu dans le moule au mépris de sa véritable orientation sexuelle. Un an plus tôt, l’homosexualité a été dépénalisée en Grande-Bretagne. Une vraie révolution. Pour faire un parallèle avec le cinéma, ce serait un peu comme passer du muet au parlant. Cependant le monde a beau changer, les mentalités, elles, prennent leur temps pour évoluer. C’est pourquoi, il s’avère plutôt délicat pour un homme aussi en vue de faire son coming out.
    Parallèlement à l’itinéraire chaotique de Talbot, nous suivrons le parcours semé d’embûches d’Anny Viklund et d’Elfira Wing, deux femmes aux nombreux cadavres dans le placard. La première, jeune et belle actrice américaine au zénith de sa gloire, a une vie sentimentale tourmentée, un ex-époux terroriste et la CIA à ses trousses ; la seconde, qui endosse les tristes oripeaux d’épouse trahie et délaissée (en l’occurrence par le metteur en scène de L’Épatante Échelle pour la Lune d’Emily Bracegirdle) est aussi une romancière en perte de vitesse. Autrefois comparée à « la nouvelle Virginia Woolf », celle-ci n’a effectivement pas écrit une ligne depuis dix ans et noie à présent son vague à l’âme dans le gin.

    Les pages de ce roman vont donc se tourner au rythme des aventures de cet attachant trio cabossé par les vicissitudes de l’existence dont on suivra avec délectation toutes les tribulations. Que ce soit le cinéma ou le monde des livres à succès, nos trois comparses évoluent dans un milieu qui fait habituellement rêver. Aux yeux de certains ils incarnent tout un univers de privilèges où chacun vit a priori auto-centré sur son magnifique nombril. En réalité un microcosme fait de fantasmes et d’illusions où le strass dissimule malaises et gros stress ; les bulles de champagne n’offrant aucune garantie contre la gueule de bois. Sur le ton de la comédie, cette incursion dans l’envers du décor démontre qu’aucune vie n’est un long fleuve tranquille. Même si le champagne (ou le gin-tonic) coule à flot.
 

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