Jeunes filles en fleurs et bleus à l’âme 

Publié le par Murielle Morier

Jeunes filles en fleurs et bleus à l’âme 

Chair et âme de Blanche Martire

La trame :
Dans ce livre aux accents autobiographiques, on suit les tribulations de quatre jeunes filles en butte au sexisme et à l’hypersexualisation de la société. Une réalité quotidienne et qui ne date pas d’hier, que parents, associations et institutions peinent pourtant encore à comprendre. Cette histoire retrace le parcours de Louise, la narratrice, Julie, Isabelle et Aurore, ses amies d’enfance, entrées de plein fouet dans l’adolescence. « De plein fouet », je n’emploie pas cette expression au hasard car elle prend tout son sens quand ces demoiselles vont franchir les portes du collège, un endroit hostile et inconnu aux allures d’arène. En effet, alors que rien ne les avait préparées à cette réalité, ici, en même temps qu’elles vont perdre leur innocence, nos protagonistes survivront tant bien que mal à la violence latente d’un environnement fortement influencé par la « culture porn ».

La problématique :
Outre les nombreux progrès qui participent à améliorer le confort de vie du plus grand nombre, nos sociétés à très fort niveau de développement ont immanquablement entraîné dans leur sillage toutes sortes d’excès. Ainsi, par un pervers effet domino, la société de consommation a-t-elle très tôt induit celle de l’image, qui n’a pas attendu bien longtemps avant de tout sexualiser. À outrance. Les publicitaires ont donc très vite compris que recourir au corps féminin permettait de vendre n’importe quel produit. Au point de considérer la femme elle-même comme une marchandise. Au diapason de ce spot publicitaire où, de sa voix suave, l’actrice Uma Thurman joue à dessein sur la sonorité de « Schweppes » assimilé au mot « Sexe ». Mais l’escalade ne s’arrête pas à ce grivois trait d’esprit. Tandis que les bimbos à la plastique affriolante envahissent désormais l’espace public, les nouvelles technologies banalisent à présent d’autres images, en principe réservées à un public adulte. Dans notre société, au même titre que l’accès au droit de vote à la majorité, nous sommes d’ailleurs censés comprendre être devenus « adultes » dès lors qu’une « œuvre » jusqu’ici interdite aux moins de 18 ans nous est désormais autorisée ; ladite œuvre possédant le plus souvent un caractère pornographique. Et, sous l’effet du progrès technique, l’accès à un tas d’informations aussi racoleuses qu’agressives se fait donc de plus en plus tôt.
Notons que cette évolution a pour conséquence de n’épargner personne car ces différents écueils affectent à présent les garçons, eux aussi, soumis à la dictature du paraître et, à ce titre, sommés de soigner les apparences. Tout ceci, couplé à l’obsession de la performance, rend ces nouvelles pressions sociales insoutenables pour le mâle lambda, atteint dans un élément constitutif de son identité : la virilité. Et on peut comprendre qu’avoir pour « étalon » de référence des bêtes de compète dignes de Rocco Siffreddi peut s’avérer aussi oppressant que déséquilibrant. 

Mon ressenti :
De tout temps et sous différentes latitudes, l’adolescence a été associée aux épreuves que la vie met sur le chemin ; les rites de passage, souvent périlleux, seront donc vécus comme autant d’épreuves qu’un individu devra subir pour espérer affronter l’âge adulte avec confiance. La vie est donc faite d’expériences heureuses, malheureuses parfois injustes et difficiles. Certes. Mais, dans cet ouvrage, j’ai surtout été époustouflée par la profondeur de certaines réflexions. Le propos tire en effet sa force tant dans l’écriture très maîtrisée que dans l’habileté de l’autrice à mêler son vécu à une analyse, étayée de multiples références.
Ce récit d’une grande justesse confronte ainsi le lecteur à des situations concrètes. Le ton est donné d’emblée : « À l’école de la vie, il n’y a pas de cours. Les enfants apprennent du monde des adultes en observant, en examinant ce qu’on leur propose, en tâtonnant, en se trompant, en se mettant en danger. »

Sur les dangers d’une hypersexualisation que la société banalise, l’autrice a cerné le cœur du problème (ceci explique d’ailleurs le titre Chair et âme), quand elle explique que cette dérive « retire à la sexualité toute sa grandeur et sa valeur : son rôle premier en tant que preuve d’amour. L’élévation de deux êtres au rang de sujet par la médiation du corps-chair. » Au point de se demander si, au XXIe siècle, le romantisme ne serait pas définitivement has-been. Ce qu’au XIXe siècle, on aurait volontiers dénommé « éducation sentimentale », serait-il donc devenu aujourd’hui un idéal inaccessible ?
Même si de l’atmosphère générale de ce livre se dégage un certain désenchantement, celui-ci a l’inestimable valeur d’un témoignage sur une réalité pas aussi anodine qu’il n’y paraît. Une lecture plus que recommandable pour ouvrir le débat.

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