Rome entre chienne et louve

Publié le par Murielle Morier

Rome entre chienne et louve

L’arsenal de Rome détruite de Aurelio Picca – Titre original : Arsenale di Roma distrutta

Traduction de l’italien par Vincent Raynaud

Atmosphère :

Si on en croit le proverbe, c’est à Rome que mènent tous les chemins. Dans L’Arsenal de Rome détruite, le lecteur se voit convié à parcourir la capitale italienne à contre-courant des sentiers maintes fois rebattus, cela même si lieux, personnages et événements n’ont rien de fictif. Par sa facture hyperréaliste, le récit évoque d’ailleurs un roman autobiographique, une sorte de chronique dont la trame se déroule sur plusieurs décennies et qui démarre quand le narrateur n’a que trois ans, âge où certaines images marquent à tout jamais. On apprendra ainsi comment une poupée Barbie aura pour lui le même effet qu’une madeleine chez Proust. Seulement, ici, cette traversée de Rome emprunte les méandres et les recoins de la mémoire pour nous faire parcourir des sentiers de perdition. Des instantanés de vie, parfois décrits dans toute leur brutalité, leur animalité même, autant de situations qui en principe devraient échapper à l’innocence de l’enfance et à l’insouciance de l’adolescence.
En effet, à différentes périodes de la vie du héros, on arpente à ses côtés les endroits les plus malfamés de la Ville éternelle pour y découvrir une humanité à la dérive. Mais une humanité quand même qu’il aime passionnément malgré ses failles. Ainsi Rome apparaît-elle à la fois sublime et crasseuse, vive et chaleureuse. Y rôdent aussi quelques malfrats avec lesquels le narrateur déclare avoir été ami… 
L’ambiance foisonnante oscille donc entre l’étude des mœurs du « menu peuple », le roman noir et le film de gangsters, dans une ville qui ne laisse pas indifférent.

Ce que j’en pense :

Par-delà le charme typique de ses places, cafés et trattorias, ses ruines antiques et mystérieuses, sa féerie de fontaines, la magnificence de ses demeures et palais, on se doute que Rome, à l’instar de toutes les grandes villes du monde, possède aussi des bas quartiers et lieux de débauche. Seulement quand il est question de la Ville éternelle on a tendance à ne pas trop vouloir regarder la vérité en face. Pour préciser cette idée, je citerai ces mots tirés de l’épilogue : « Rome a fait tout ce que le Reste du Monde a fait, mais le Reste du Monde n’a pas fait ce que Rome a fait. » 
C’est ainsi qu’au cours de sa balade interlope aux confins de l’humanité, le narrateur nous parle d’une cité qu’il connaît très bien et chérit sans concession. Toutefois, inutile de chercher ce qui ressemblerait de près ou de loin à de la rédemption, on n’en trouvera pas. Pour expliquer ce parti pris, qui consiste à dépeindre un monde sans pitié dans lequel chacun tente de vivre ou survivre, je me permets de rapporter en substance dans cette chronique ce que l’auteur a déclaré lors d’une interview (traduction personnelle) : « Je ne crois pas que la beauté sauvera le monde. On peut juste la trouver entre la mort et la souffrance... Tout comme la joie, la beauté est éphémère et ne sauve de rien. »
Donc aucun salut par la beauté selon Aurelio Picca. Rome révèle son authenticité, sa démesure et son ambiguïté dans l’obscurité, impossible alors de l’imaginer figée pour l’éternité.

✒️ Côté style, le choix du réalisme cru permet au narrateur d’éviter tout lyrisme. Malgré cela, on perçoit dans ses mots comme l’écho d’une musique bien particulière et pour tout dire assez inédite, même si j’ai pu y trouver une résonance avec des auteurs dits « classiques » comme Curzio Malaparte. De même, impossible de ne pas penser aux nouvelles romaines (Racconti romani) d’Alberto Moravia, que je devrais toutefois relire car mes impressions commencent à dater... 
Je crois donc avoir retrouvé ici une certaine langueur teintée de nostalgie, une curieuse impression de se sentir sans défense face aux émotions de l’instant.

Ceci dit, merci aux Éditions Christian Bourgois et au site Babelio pour son opération « Masse Critique », qui m’a permis de découvrir cet auteur, pour la première fois traduit en français. J’ai hâte d’en apprendre davantage sur son univers en lisant d’autres ouvrages en version originale.
 

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V
Au top :) Merci pour cette page, au plaisir de vous voir ???? ❤
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