Gris horizon

Publié le par Murielle Morier

Gris horizon
Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman de Kerry Hudson
Titre original : Tony Hogan bought me an ice-cream float before he stole my ma – Traduction de l’anglais (Écosse) par Françoise Lévy-Paolini
 
Présentation :
 
La vie n’a pas distribué un jeu brillant à Janie Ryan. Un chapelet d’injures accueille en effet sa venue au monde et ce qui l’attend sera à l’unisson. Pas de tout repos, son enfance passée à la remorque d’Iris, une mère instable et immature qui la bringuebale d’appartements délabrés en cités HLM miteuses avec moult passages dans les longues files d’attente de l’allocation chômage. Le tout sur fond de défonce à l’alcool, clopes roulées à la chaîne et doses massives de junk-food. À propos de son vrai père qu’elle ne connaîtra jamais, Janie sait juste qu’il est Américain et on suppose qu’il avait promis monts et merveilles à sa génitrice avant de l’abandonner. Depuis lors, côté cœur, Iris est abonnée aux mauvais numéros. Et Janis échappe in extremis à son placement en foyer. Peu reluisant comme tableau familial et inutile de compter sur une grand-mère égocentrique addict au bingo pour changer la donne.
Bon an mal an, la survie quotidienne suit son cours. Une demi-sœur va aussi rejoindre Janie dans cette galère et on apprend comment s’éteint la couleur des jours jusqu’à l’adolescence débridée de l’intéressée.
Sur la forme, le texte écrit à la première personne passe par le regard de Janie et bénéficie, à ce titre, d’un traitement narratif assez original. Dès sa sortie de l’utérus, on comprend d’emblée que la gamine a bien des choses à dire. On se familiarise ainsi avec sa fantaisie, son caractère impétueux et surtout sa capacité innée à juger le monde absurde qui l’entoure. Concernant ses états d’âme d’ado, ceux-ci diffèrent peu du schéma existentiel de n’importe quel jeune : soucis d’intégration, volonté d’appartenir à un groupe, quel qu’il soit d’ailleurs. Dans son bahut, on retrouve le distinguo classique entre élèves populaires pleins de promesses et le ramassis de craignos sur qui personne ne parierait un kopeck. Curieusement, alors que son minois de blondinette l’avait admise chez les plus cool, comme mue par un instinct d’auto-destruction, Janie choisira pourtant le clan des freaks.
Sur le fond, ce roman aux accents autobiographiques est le premier de Kerry Hudson. Ici, le passé et l’avenir s’étreignent dans une lutte continue pour l’existence. On se demande si la jeune Janie, poussée par une sorte de fatalité atavique, suivra les traces de sa mère ou si elle parviendra à écrire sa propre histoire.
 
Mon avis :
 
Je suis toujours très sensible aux parcours de vie avec un personnage central fort. Je ne peux nier que Janie est attachante à bien des égards mais c’est sa mère que j’ai trouvé la plus émouvante. En fait, ce personnage m’a totalement bouleversée. Avec une vie sentimentale définitivement dans l’impasse, celle-ci avance à l’aveugle sur le fil du rasoir entre dépression, affrontements violents et aussi débordements de tendresse car ses multiples faiblesses n’entameront jamais un amour maternel à l’épreuve des balles.
Mieux prévenir : une histoire pareille n’est pas à prescrire en cas de déprime profonde car il est peu probable que sa réalité crue vous redonne un moral d’acier. Même si, dans ce ciel tourmenté, surgissent parfois de brefs arcs-en-ciel, certains passages sont à la limite du supportable.
En filigrane de ce récit qui se passe, pour une bonne partie, dans les années 80, on capte aussi dans l’air du temps les ravages du thatchérisme qui ont fait émerger un quart monde dans ce pays riche quest le Royaume-Uni et la volonté des « pauvres » de rester dignes malgré tout.
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