Pour l’amour de l’art ou des dollars ?

Publié le par Murielle Morier

Pour l’amour de l’art ou des dollars ?

Une friction a récemment éclaté en ligne entre une blogueuse et un auteur, lequel, avant de la bloquer, l’a accusée d’avoir trouvé le « bon filon pour lire gratis », alors que ses livres ont un prix correspondant non seulement à leur valeur marchande à laquelle s’ajoutent les frais de port.

Étant à la fois auteure et chroniqueuse, cet incident m’a interpellée. Outre l’investissement personnel que réclame tout travail d’écriture, en effet, l’aspect financier n’est pas non plus négligeable quand on cherche à faire la promotion de son travail. Je reconnais que cet auteur a pu avoir une réaction excessive, voire agressive ; par ailleurs, bloquer quelqu’un relève de la pure goujaterie. Bien sûr, un compte sur les réseaux sociaux n’est pas une démocratie et chacun est roi en son petit royaume numérique, mais s’expliquer est toujours bénéfique et préférable à un claquement de porte.
Je tiens également à préciser que, dans la grande majorité des cas, les blogueuses qui chroniquent des livres font un travail remarquable – et bénévole – et ne sont pas d’horribles mercenaires qui chercheraient à amasser le plus de bouquins possible sans même les lire pour les revendre illico sur Internet… ou encore les garder sous le coude pour l’anniv’ de la petite nièce à qui on ne sait plus quoi offrir de toute façon.

Donc, quand tout se passe bien, un service presse qui consiste à lire un livre en échange d’une chronique est une prestation non rémunérée. Tout ceci se base sur la règle non écrite du donnant, donnant : un livre contre un avis, qu’il soit positif ou pas du reste. En effet, aucun rapport contractuel ne lie un blogueur à un auteur. Concrètement, l’un ne doit rien à l’autre, si ce n’est un engagement moral (et un minimum d’éthique rédactionnelle aussi). S’agissant d’un travail bénévole très chronophage, on lit souvent selon ses disponibilités. C’est le jeu et on doit l’accepter. J’ai, pour ma part, et même si je reconnais donner parfois du temps au temps, jusqu’ici lu et chroniqué tous les livres qu’on a bien voulu me confier.

J’expliquais donc qu’un service presse est en principe gratuit, mais, devant la demande croissante, certaines « influenceuses » – celles qui ont le plus de visibilité – ont décidé de se faire payer, cela quel que soit leur ressenti. L’auteur qui accepte le deal prend donc le risque, si jamais sa prose déplaît, de voir son boulot descendu. Un arrêt de mort en bonne et due forme pour un auteur sans notoriété. Qui aura même payé pour ça… Devra-t-il aussi payer pour faire taire la critique si elle ne lui est pas favorable ?

Vocation d’artiste, lumière du jour et air du temps

Par ailleurs, je reporte ici le commentaire d’un internaute : « Écrire un livre ne doit pas dépendre d’une question financière. On écrit par passion, sous le coup de l’imagination. Par vocation d’artiste. Même si c’est l’argent qui fait vivre malheureusement et qu’on espère en gagner avec l’écriture. En aucun cas l’écriture doit dépendre de choses triviales comme l’argent parce que ça se ressent dans le livre. »
Tout en reconnaissant l’argent comme un mal nécessaire, un auteur digne de ce nom écrirait alors par passion ? Par vocation ? L’écriture serait donc pour lui une ascèse. Et le bon écrivain une sorte de saint laïque désintéressé. Autrement, le lecteur qui a des antennes ne s’y trompera pas et verra tout de suite qu’on en veut à son porte-monnaie au détriment de son discernement...
Je pense également que, même si on a tous des factures à payer, on ne peut rien créer sans passion. Mais, non décidément, concernant le sacro-saint principe de l’art pour l’art, je n’y crois pas trop. Même s’il s’en inspire pour s’exprimer, un artiste en effet ne se nourrit pas que de l’air du temps et de la lumière du jour.

Quand Cézanne peignait, il ne se doutait pas que les pommes de son compotier vaudraient un jour des millions. Quant à Van Gogh, ça lui fait une belle jambe, maintenant qu’il les voit pousser par la racine, que ses tournesols atteignent des prix démentiels. Alors oui, sans public, une création artistique n’est RIEN. Cela ne signifie pas qu’elle est sans valeur. Et je reste persuadée que ce brave Vincent aurait aimé goûter un tant soit peu le fruit de son labeur quand il respirait encore. Hélas de leur vivant, bien des peintres n’ont pas reçu la reconnaissance qu’ils méritaient, alors que leurs œuvres atteignent de nos jours des millions de dollars aux enchères.

Mais revenons un peu sur terre. Un auteur a besoin de manger. C’est la vie. C’est pourquoi en dehors d’un service de presse, il me paraît logique et juste qu’un lecteur fasse l’effort d’acheter un livre. Aucun écrivain n’a envie de devenir un artiste maudit.

Pour continuer à parler argent, on peut aussi dire que certains tondent littéralement la laine sur le dos des écrivains (et j’ai bien conscience que ce n’est pas parce qu’on a publié trois posts sur Facebook qu’on est un écrivain…). Pour citer un exemple parmi d’autres, alors que, le reste du temps, pas mal de libraires méprisent superbement les petits auteurs, ces mêmes libraires n’ont aucun scrupule à prélever leur pourcentage sur les ventes réalisées par ceux que les mauvaises langues appellent volontiers les « écrivains du dimanche », à savoir ceux qui ont coutume de squatter les salons littéraires le plus souvent organisés ce jour-là.

Pendant ce temps-là, alors qu’on tient salon à la Grande Librairie, des maisons d’édition avec un pignon bien en vue sur les grands boulevards, s’offrent sur un front les services de lecteurs en sensibilité (cf. chronique du 31 mars 2022) et sur l’autre se disputent les plumes les plus bankables. Le tout pour consciencieusement formater les goûts du public et inonder le marché de livres de moins en moins originaux.

Pour conclure ce billet, je dirai simplement que l’hyper concurrentiel marché du livre obéit donc à la loi du plus fort. J’ai toujours le vertige à chaque rentrée littéraire devant toutes ces nouveautés, parmi lesquelles se trouve toute une tripotée de premiers romans. Autant de matière potentielle pour le pilon. Mais si c’est comme ça tous les ans, je suppose que tout ceci doit bien profiter à certains. La chaîne du livre est longue. Et il faut savoir que ce n’est pas l’auteur, qui en est pourtant un maillon essentiel, le premier servi.

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