Désirs de supériorité

Publié le par Murielle Morier

Désirs de supériorité

Expressions de supériorité – Petite encyclopédie des distinctions élitistes de Jean-Pascal Daloz

Chaque humain arrive sur terre, nu et vulnérable dans les souillures de l’enfantement. Malgré cette terrible évidence, c’est une particularité bien humaine que de s’estimer supérieur et de vouloir l’affirmer. Et pas qu’un peu.
Certains conservent donc une propension à se croire sortis de la divine cuisse de Jupiter, alors que le fait de s’asseoir au quotidien sur le trône où le roi lui-même n’envoie pas son cousin, devrait les ramener à plus d’humilité. En effet. Chacun aura forcément croisé la route d’individus aussi imbus de leur petite personne qu’imbuvables, et perso, quand, je me les remémore, pour dédramatiser, je me plais à visualiser les scènes à la fois cultes et irrésistibles du film La folie des grandeurs, où le valet Yves Montant (qui a le beau rôle) donne la réplique à son maître, un Louis de Funès qui, en conjuguant la bêtise à la vanité, apparaît de facto du dernier ridicule. Mieux vaut, je crois, rire plutôt que se morfondre, ça aide toujours à traverser la grande énigme de la vie.
Après ce préambule, passons (j’emploie à dessein et par facétie le nous de majesté) à l’analyse de l’ouvrage d’une époustouflante érudition signé Jean-Pascal Daloz, qui se présente comme une somme incroyablement inédite de connaissances accumulées sur la distinction élitiste. L’auteur de cet essai n’en est pas à un coup d’essai justement, ayant déjà longuement planché sur la question dans d’autres livres, à la fois théoriques et méthodologiques, intitulés The Sociology of Elite Distinction, puis Rethinking Social Distinction, tous deux publiés en anglais. Mazette !
Dans le présent ouvrage, pour appréhender la façon dont l’humain estime sa prétendue supériorité sur autrui, on opposera bien sûr nature (la vérité universelle de naître dans le sang et la merde) à culture (milieu, éducation, l’impressionnante capacité à déguster des cerises en société sans recourir à ses doigts…).
Avec un luxe de détails, tantôt impressionnants, parfois déconcertants, l’auteur dresse ainsi un tour d’horizon de la distinction sociale de toutes ces élites autoproclamées. Un phénomène, on l’apprendra, qui revêt des formes très variées en fonction des lieux et des époques. Cette « Petite » encyclopédie compte donc dix-sept chapitres thématiques, répartis en quatre sections, chacune précédée d’une introduction. La première concerne les signes extérieurs, à savoir les biens de prestige que sont l’habitation, les moyens de locomotion, les vêtements, les parures et autres ornements. Bref tout ce qui représente une extension de la personnalité et en dit long sur le background socio-culturel de l’individu. La seconde a trait aux signes incorporés, dont font notamment partie l’apparence physique, les manières et une certaine idée du savoir-vivre. La troisième vise la différentiation par l’intermédiaire de l’entourage et la dernière porte sur l’étude des confrontations directes, des face-à-face symboliques, comme les attitudes corporelles révélatrices, genre, « Appliquons-nous à bien danser la pavane, le menu peuple nous regarde ». Seront aussi étudiés ici les préséances et les dons.
Comme personne n’est parfait et qu’on ne se refait pas, on pourra ronger tant et plus son frein pour avoir été jugé et diminué par celles et ceux, qu’à son tour, on estimera pires – ou en tout cas pas mieux que soi, ce livre, quant à lui, compare, répertorie et classe les différentes façons de se distinguer en fonction de nombreux facteurs et affiche une belle hauteur de vue en se gardant de tout jugement.
Le propos, qui se conclut avec une allusion au « lancinant espoir de figurer parmi les gens qui comptent un tant soit peu », m’inspirera un épilogue au ton tout personnel ; les codes de la distinction étant repérables « jusqu’au plus bas des sociétés ». À ce compte-là, madame pipi se piquera aussi volontiers de quelque velléité de supériorité. Nul ne niera en effet qu’en cas de pénurie, détenir la clé du placard à PQ confère une sacrée longueur d’avance. Et Sa Majesté des Gogues de forger l’implacable devise en son palais faïencé : Aux cabinets, pour gouverner, du bon côté du rouleau, tu dois te retrouver. Décidément, ces humains sont indécrottables.

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